mardi 27 juillet 2010

Tranche (Miettes) de pain (vie)

Vieux texte écrit à mes débuts en 2008.


On est dans l'char, y'est rendu 1h19 tapant, on est pas mal tous fatigués. Moi j'suis pas capable de dormir en char, les lumières des poteaux m'éclairent les paupières, et j'ai beau avoir les yeux fermés, c'est pas totalement noir. C'est plus orange noir, ça me tape sur les nerfs, j'veux ben dormir mais là. En plus y'a la fenêtre qui vibre pis ça me remonte dans les dents et ça me chatouille les gencives. Oublie ça, tant qu'à ça, j'vais regarder la slush sur l'bord d'la route. Mon père conduit mais on dirait que lui y'a l'air capable de s'endormir. Ma mère dormait avant qu'on parte quasiment, et mon frère est occupé à passer pokémon stadium.
Y'a U2 à la radio, mon père chante tellement faux, tellement trop bas, que c’est quasiment harmonieux sans faire exprès, ça réveille ma mère. Il lui sourit avec une face de «scusez tu m'aimes tu pareil?» et elle le regarde avec une face de «t'es un épais mais je t'aime pareil», et on roule full pin sur l'autoroute, tellement vite que j'ai l'impression qu'on flotte, qu'on s'envole.

Je me demande tout le temps pleins d'affaires en auto. Par exemple, combien y'a de lampadaires d'ici jusqu'au chalet? J'ai perdu l'fil après 1201, mon frère avait vu une auto rouge faque après les bines ça a résulté en claques s'a yeule. Ou bedon, c'est tu nous autres qui avance ou ben tout le reste qui recule. Je l'ai jamais su. J'ai toujours pensé que sur le dash de char y'aurait un p'tit piton avec deux flèches comme ça »» pour peser et faire que tout recule pour nous amener au chalet. Des fois aussi, tsé quand on baille et qu'on a de l'eau dans les yeux? Ben moi je fermais mes cils juste assez pour que l'eau les entoure et que ça déforme la lumière du lampadaire. Ça faisait des étoiles et selon comment je bougeais mes cils, j'étais capable de les faire augmenter d'intensité ou tourner, comme l'étoile de la fée dans Pinocchio.

L'automne, on allait toujours au chalet. Ça prenait juste 1h15 mais j'avais l'impression que ça en prenait trois.
On avait le temps d'en écouter de la musique. Mais on écoutait souvent du U2, et moi je comprenais pas pourquoi ça s'épelait pas ioutou. La toune que j'aimais le plus c'était Ah la la la bébé, mais le vrai titre c'est Running to stand still.
«Singing ha la la la de day»
On s'en allait, écoutant ça, et on aurait dit que la chanson m'imprégnait les paysages qui reculaient autour de nous. Et chaque fois que je la réécoute, tous les paysages défilent encore devant moi. J'aime ça.

« She runs through the streets - With her eyes painted red - Under black belly of cloud in the rain - In through a doorway she brings me -White gold and pearls stolen from the sea - She is raging - She is raging and the storm blows up in her eyes - She will suffer the needle chill - She is running to stand still».

À la fin y'avait de l'harmonica, et j'ai toujours trouvé ça beau. On dirait que la rage s'y cache, que la tristesse y a trouvé demeure. Et quand le son me traverse, c'est comme un bébé qui sourit, c'est comme un vieux monsieur qui rit, c'est comme une résurrection, c'est comme manger du pâté chinois en famille, c'est comme Noël le matin.

Je me souviendrai toujours de mon dernier vrai Noël. J'étais allé me coucher ce soir là, convaincu que le Père Noël allait venir manger mes biscuits et boire mon lait. Mes parents m'avaient bordé ce soir là, me disant qu'il fallait dormir sinon il ne viendrait pas. Durant la nuit, je me suis réveillé en sursaut, j'avais entendu quelque chose se poser sur le toit. Je capotais, les mains me tremblaient. Il fallait que je me rendorme, sinon le Père Noël allait le savoir et il s'en irait sans manger ses biscuits. Mon père m'avait dit que c'était à cause des biscuits qu'il était gros le Père Noël, mais moi je croyais que c'était parce qu'il avait plus de place dans le traîneau pour tous les cadeaux de tout le monde, alors il en avait mit dans sa bédaine. Le lendemain matin, je me suis réveillé avant mes parents, heureux, constatant que c'était Noël. Je suis allé sauter sur le ventre de mon père pour le réveiller, et ça avait marché. Les deux s'étaient levés, on était prêts à déballer. Les biscuits n'étaient plus là, le lait non plus, et il y avait un petit mot sur lequel était inscrit «Merci Pierrot et Sam pour les biscuits et le lait» signé par le Père Noël, le vrai.
J'ai eu un Nintendo 64, avec Super Mario 64 et un jeu de Pokémon pour mon frère. Je trippais.


...Pis après ce Noël là, mes parents se sont séparés et on s'est fait volé une manette du Nintendo, mais c'était pas grave vu qu'elle était déjà cassée. Et le voleur trop con avait pas prit le Nintendo ni Super Mario.
Alors, on est reparti en char, acheter une autre manette, mais pas cassée, en écoutant mon père chanter sur du ioutou, cherchant le regard de «t'es un épais mais je t'aime pareil» de ma mère, ne trouvant qu'une femme que je ne connaissais pas, qui ne me connaissait pas, et qui, sans le savoir, bouleversait mon existence et ça me faisait l'effet d'un étranglement, de quand on se retient de pas pleurer durant le film où notre personnage préféré meurt.
«And so she woke up
From where she was lying still
Said we got to do something about where were going
Step on a steam train
Step out of the driving train
Maybe run from the darkness in the night
Singing ha la la la de day»...ha la la la bébé...

Depuis ce temps là elle me fait pleurer.


26/12/08