mardi 27 décembre 2011

Introduction

Tu lis ces mots ou tu les liras peut-être demain. Je te les écris très tôt, un matin noir foncé, froid, quasiment frette, la pipe à la main, confortablement installé dans le creux de mon fauteuil de cuir usé, chemise de nuit et pantoufles aux pieds. C'est janvier, le givre abrille le châssis du salon par lequel j'ai tranquillement regardé la ville s’endormir, la veille, pendant qu'à mon habitude je me forais la pensée à la recherche de petits trésors susceptibles de se poser, comme à l'instant, à la fin de mes phrases, sur mon papier.

J'ai une certaine fascination pour ces choses-là, tu comprendras. Les idées et le papier. Ce sont des choses qu'on ne maîtrise que rarement. On efface souvent et on recommence parfois, des oeuvres complètes ou des nouvelles ridicules, la plupart du temps médiocres. Et il arrive, des soirées mémorables, pendant lesquelles les idées fluctuent, se bâtissent entre elles, forment des paragraphes et on l'espère des pages, puis on aime ça. Écrire ça fait mal, dit-on. Les dramaturges, les démiurges de nos sous-univers, les mélomanes et les âmes perdues seraient d'accord avec moi. On aime souffrir en face des gens qui nous regardent. On souffre seul, seul avec le monde entier. Eh que ça fait donc du bien d'être triste, diront-ils, ces fantômes et ces martyres. Je n'en dirai pas autant. La passion me suffit. Cette maudite sensation d'aimer quelque chose plus fort que tout et de se sentir prêt à se sacrifier pour elle, sans rien en retour. L'inconditionnelle dévotion pour un domaine ou un art, une muse, un plaisir, une femme, c'est comme un poème de Leclerc, comme un tableau de Riopelle, on ne comprend pas toujours mais ça fait mal en dedans.
Le papier aussi, ça me fait mal en dedans. Parce que j'ai de la misère à me lire, à me faire comprendre, à comprendre ce que je fais ou ce que je voudrais faire. Mais le papier lui, peu importe, il sera toujours là pour moi. Le meilleur confident, sans bras pour m’accueillir, sans oreille pour m'écouter, sans épaule pour me soutenir, sans bouche pour m'embrasser. Mais il a l'espace. Le grand blanc, sur lequel dessiner tout ça, l'inventer, le plier, l'envoyer, le mâcher, le coller, le donner, le déchirer, le brûler, le vieillir, le sentir, le froisser, le trouer, le presque tout. Pourtant, je ne m'étais jamais imaginé finir par le vendre. Je ne comprends pas.

On vit la grosse époque, dit-on, et je n'y comprends que certaines choses. Je suis du genre idiot ou du genre rebelle. Je ne suis pas du genre fouineux ou du genre qui aime me mêler des oignions des autres. Mes oignons sont bien meilleurs, de toute façon. Je ne suis pas champion ni acteur, pas voleur ou politicien, pas pilote ni soldat, pas poltron ni mort de peur, pas brillant ni mât, pas pion ni roi. Et alors que le monde s'imagine se faire aller sur les tapis rouges, je les déroule et retourne chez moi, profiter du silence et de la musique, parfois, de l'odeur du souper qui mijote sur le poêle à bois, de la chaleur qui m'attend. Pour peindre, loin des foules et des caméras, des poignées de mains et des rues humides, loin des souris de ville, sur ma toile, des mots de bonheur et de sincérité, je préfère les champs du rat et la lumière des étoiles.
J'suis comme ça, mais ne te méprend, jamais, à penser que je régurgite de l'urbain, après mon verre de lait. C'est que la beauté d'une citée ne se trouve pas nécessairement en ses habitants, mais peut-être en la vie qu'elle leur donne. Ça bouge et ça court partout, ça danse et ça chante. La métropole est trop rapide pour moi. Elle tourne les pages plus vite que je ne les lis, elle m'essouffle et je perds des morceaux à mon histoire. J'arrive à la fin sans connaître le début et c'est toujours comme ça.

Le soleil se lèvera dans un quart d'heure, et ta mère également. Elle s'était endormie sur le divan, bordée par la radio et le dernier thème d'un smooth jazz à faire brailler les grand-pères. La bouilloire chauffe déjà l'eau du thé matinal qu'elle sirotera du bout des ses lèvres craquées. Sa toux se calmera et nous parlerons de toi, de ton nom et de ce que tu aimeras, à ton tour. Nous parlerons d'amour, nous parlerons d'hier. Nous parlerons du beau temps, puis nous parlerons d'hiver. Nous parlerons de Dylan puis nous ne parlerons plus. Nous parlerons de Miron, ensuite de Borduas. D'il était une fois.