jeudi 15 novembre 2012

Mercredi et les bestioles

Tout commença lorsqu'il fit noir. Les lumières disparurent, la rumeur s'apaisa à l'intérieur du théâtre. Les enfants curieux s'avancèrent au bout de leur siège, regardant fixement une mince lueur gigoter sous les tissus du rideau un peu trop court. On pouvait y voir des ombres faire du va-et-vient, des pieds noirs s'agiter, se promener rapidement dans l'arrière scène. Et parfois, plus rien. C'était l'obscurité complète et dans la salle silencieusement euphorique on s'impatientait joyeusement.

Dans le ventre de Mercredi, des bestioles s'excitaient. Elles volaient en cercle entre ses côtes. Mercredi gloussa discrètement, ça le chatouillait tant.
Il se disait qu'il avait déjà eu cette même sensation, étant enfant, lorsqu'il jouait à la cachette avec son ami Robinson.


Mercredi courrait se cacher. À vive allure il avançait dans les champs de grands épis, sous le faible soleil de vingt heures. Un peu plus loin, derrière une cabane qui semblait abandonnée, entre une statuette poussiéreuse de la Sainte Vierge et un pot en terre cuite à moitié fendu, se situait une vieille porte boisée et pourrie que Mercredi n'avait jamais eu l'audace d'ouvrir.
C'était une entrée à deux portes battantes placées à 45 degrés sur une sorte de structure de pierre ne pouvant être autre chose qu'un accès extérieur menant à une cave, sous la maison.
Mercredi sortit son canif et coupa sans difficulté la corde qui barrait ensemble les deux portes. Il les entrouvrit et une senteur de secret émana de l'ouverture. Derrière descendait un escalier de bois dont les fissures étaient engorgées de terre. Mercredi le descendit prudemment jusqu'à une autre porte entrebâillée. Il entra rapidement en se rappelant que Robinson était toujours à sa recherche. Il referma derrière lui.

Une fenêtre par laquelle entrait le coucher de soleil permettait à Mercredi de partiellement voir la pièce dans laquelle il s'était aventuré. Tout autour de lui se dressaient des amas d'objets ayant tous l'air plus anciens les uns que les autres. La majorité était composée de meubles antiques, mais il pouvait y voir des fourches, un seau d'eau rouillé, des bouteilles de lait vides, un paquet de cartes à jouer, des piles de livres immenses. Il avançait lentement au milieu de la pièce. Dans le mince filet de lumière qui traversait la fenêtre, il voyait voler l'épaisse poussière que ses pas faisaient monter en l'air. À l'autre bout de la salle un large bureau recouvert d'une couverture attira son attention. Une fois devant le meuble en question, il mit les mains sur le tissu et le tâta un peu partout, fermant les yeux, s'imaginant ce qu'il pourrait bien trouver en dessous. Un trésor, pensait-il. Parmi tout le mobilier que contenait la cave, c'était assurément le seul qu'on avait prit soin de cacher. Il tira la couverture de manière plutôt spectaculaire, ce qui fit décoller d'un coup la poussière dont elle était saturée. Mercredi s'étouffa et se frotta le visage couvert par la saleté. Il vit ensuite à sa grande déception une demi-douzaine de banales caisses de bois, sur lesquelles étaient dessinées des pommes bien rouges. Il s'approcha et se rendit compte qu'à l'intérieur de ces boites, il n'y avait pas de fruits, mais bien d'étranges cartons. Surpris et intrigué, Mercredi en saisit un en particulier, car les couleurs de celui-ci avait attiré son regard. Sur le carton était imprimé l'illustration d'un homme en robe, assis en indien sur de nombreux coussins, un long instrument posé entre ses jambes. L'homme le tenait bien haut de sa main gauche tandis que sa main droite reposait au bas de celui-ci sur ce qui ressemblait à de longs fils métalliques. Mercredi fit tourner le carton entre ses mains et trouva une fente sur l'une des extrémités. Il regarda à l'intérieur et il y trouva un objet noir de forme circulaire. Il le sorti du carton qui était évidemment une enveloppe faite sur mesure pour l'objet. Mercredi s'approcha du peu de lumière qui restait alors dans la pièce. Il mit l'étrange objet directement face au rayon de soleil et l'observa attentivement. De fins sillons étaient gravés sur les deux faces de ce qui semblait être nulle autre chose qu'un disque.
Mercredi se rappelait que sa mère lui avait déjà parlé de ces disques à l'heure du coucher. Elle disait que c'étaient des objets de magie, et que dans leurs sillons se cachaient d'invisibles merveilles.

C'est alors que Mercredi entendit des bruits de pas venant de l'extérieur. Robinson approchait. Le disque lui glissa des mains et il alla sans le ramasser se cacher un peu plus loin, derrière un coffre que cachait un porte-manteau roulant. Dans l'obscurité de sa cachette, l'excitation l'envahissait vivement. Les bestioles dans son ventre volaient entre ses os. L'angoisse et la peur, confrontés au confort et à la sûreté de la cache, lui donnait cette sensation d'impuissance mais aussi de totale invincibilité. Mercredi sentait l'odeur des vieux vêtements, du parfum de jadis qui imprégnait encore le tissu des gilets. Ça lui rappelait ses grands-parents. Robinson avait ouvert la porte de la cave, il descendait en murmurant, la respiration haletante.

Les bestioles s'agitaient de plus en plus à l'intérieur de Mercredi, et c'est cette exacte sensation qu'il ressentait à l'instant même où les lumières s'étaient éteintes dans la salle de spectacle, les pieds des fébriles artistes faisant les cent pas, en arrière des rideaux trop courts.

C'est soudainement que ceux-ci furent tirés et qu'une lueur éclaira le décor de la scène, sortant Mercredi de ses souvenirs. Un tapis rouge comme la plus rouge des pommes était étendu au milieu du plateau. Sur ce dernier, on avait placé de fastes coussins de satin. Une poursuite dorée descendait du haut de la salle et éclairait la somptueuse estrade.
Un homme portant le Sherwani indien traditionnel s'avança lentement sur les planches, puis prit place, assis les jambes croisées, parmi les coussins.

Mercredi sourit, en se rappela avec nostalgie la première fois qu'il avait vu cet homme.
C'était au fond d'une cave sur la pochette d'un disque poussiéreux.