
Je suis sur un viaduc perpendiculaire aux vents. C'est souvent comme ça, les camions passent sous mes pieds. Ils tirent des cargaisons de boîtes, des meubles, des chaises sur lesquelles personne ne s'est encore assis. Des animaux qui s'en vont mourir, des animaux qui s'en vont tout court pis des animaux emballés genre du jambon à l'érable. Peu importe ce qu'ils tirent dans leur ventre, ces camions là ils tirent aussi le vent. Ils percent la couche d'air froid, compacte mais fragile comme une vitre givrée et mon poing qui se coupe en la cassant parce que j'suis fâché. C'est une masse qu'on peut sentir, tu sais, quand ça sent l'hiver, on le sait tous que ça nous rend tristes. Nous sommes tous tristes et c'est pour ça que nous nous rassemblons. Il fait bon d'être tristes ensemble, ça nous rend heureux et on se garroche des pintes de bières dessus nous sommes mouillés et soûls j'adore nous voir dans le miroir derrière le bar, échevelés écrasés sur les tabourets, les pieds qui puent les manteaux qui sèchent et nos nez rougis les lueurs de chandelle qui éclairent notre morve. C'est formidable, je nous aime lorsque nous sommes ainsi.
Je suis sur le viaduc perpendiculaire au vent. Les camions tirent et je reçois la draft en plein visage. Je suis certain que vous avez déjà pensé à quel point le froid le plus froid se rapproche du chaud le plus chaud. C'est une brûlure. La seule différence c'est son odeur.
Pendant que j'ouvrais la bouche pour chanter, ma joue s'est fendue comme un glaçon dans une soupe lipton. Elle faisait le pare-brise depuis que j'étais descendu de l'autobus. J'avais chanté c'était de trop. Une harmonie haute et puissante, sur le pont de l'autoroute, là où personne ne peut entendre toute la beauté de mes syllabes. Je veux chanter toujours tout le temps même quand je marche dans la rue, près des maisons des gens qui dorment, qui vivent le jour quand moi je dors. Je veux chanter de tout mon corps, faisant des gestes comme les vieux chanteurs pour illustrer ce que je chante avec mes mains comme quand je les mets sur mon coeur en chantant je t'aime. Ça illustre l'amour que j'ai chanté, je suis sur que vous comprenez. Je tends mes mains vers la lune je lui parle de cette femme qui m'a blessé que j'ai blessé que je ne semble plus connaître ça fait longtemps que nous nous sommes aperçus. Je chante en regardant le ciel comme si c'était elle, comme si un satellite pouvait lui transmettre tout mon ennui et mon désespoir de lui parler, comme si elle ne dormait pas. Je suis quétaine. Nous sommes si différents.
J'ai de la neige jusqu'aux genoux je gèle et encore j'ai hâte d'être loin d'ici. J'aimerais qu'une nouvelle femme me garroche une pinte de bière. J'aimerais qu'elle soit si différente des autres femmes qu'elle me fasse oublier que je m'ennuie. J'aimerais qu'elle soit assise tout près de moi ou sur le même tabouret, une fesse une fesse on serait ensemble, inconfortables mais ça ferait rien, on s'engourdirait pour oublier qu'on a mal dans la craque et à cet instant on s'en foutterait parce que c'est ce qu'on aurait voulu depuis longtemps. Je sais que c'est bien ce que je veux, je veux m'asseoir tellement mal pour être si bien en même temps. On pourrait débouler les escaliers et rire en bas, faire des anges de Noël dans nos flaques de sang. On pourrait le recueillir pour peinturer, ce rouge est un si beau pigment.