
J'ai les mains gelées et j'écris tout ça en ne sachant vraiment si j'aurai l'occasion de me relire, qui sait, peut-être déjà mordu par la ténacité de l'engourdie.
J'essaie de me rappeler de mes idées autrefois si blanches tandis que j'écris le mal qui dans mes neurones aura bientôt élu domicile. Et je me souviens.
Je me souviens que je pensais à cet ange suspendue aux balcons des étoiles. Et elle explosait comme les astres. L'idée que toutes ces lueurs ancrées au dessus de moi soient très loin là bas, en train de s'éteindre, en train de s'effacer de la carte du ciel, m'est venue en tête et je ne saurai comment expliquer qu'elle m'eut autant ému. Je pleurais en silence la perte de ces déesses éclatées qui tant de fois ont veillé sur moi. Je montais les yeux en leur firmament, et je les fixais curieusement. Elles furent mes nourrices, à longues inspirations de magma en fusion, lait maternel de ces lunes d'autrefois. Après un moment, je levais les doigts vers elles, je fermais l’œil droit pour mieux viser leur trajectoire, pour me saisir de la grande femme. Ce pâle soleil de cendres et de poussière, il n'explosait plus. Cette lune qui est la nôtre, elle n'est plus vierge, j'y ai posé mes doigts et l'ai caressé doucement. Blanche comme la peau d'un sein, je m’allaitais à ses cratères et les embrassais lentement.
Le lait des étoiles, aussi exquis soit-il, est un fort poison mortel. Je l'ai bu trop longtemps, j'en souffre aujourd'hui.
J'ai blotti ma tête entre les seins de cette femme qui brille au ciel, et mon visage clair refléta ses rayons de paix sur le pavé de la passerelle, pour faire partir la peinture noire loin de sur le dos de la nuit.
Au fond du corridor, j'ai vu une sortie. Une frêle ampoule rouge brûlait tout près de là. Quand j'ouvrai la porte métallique, je vis se dérouler au devant un tapis d'herbes finement coupées, lisses et blanches comme de la soie. J'y fis un court chemin. J'entendais là des voix rauques et tranchées de fatigue me chanter des choses menaçantes, de vieilles chansons françaises en écho sur les falaises de l'ennui. J'entrai dans une sorte de cimetière, duquel sortaient çà et là de très hauts tombeaux. Semées en ligne droite dans l'herbe blanche, alignées comme des arbres de plantation, les pierres tombales semblaient toutes plus transparentes les unes que les autres. D'étranges diamants sans épitaphe qu'on avait mit là en attendant.
Je sentis soudainement ma peau tomber, glisser le long de moi comme une goutte d'eau. Je voyais sur mes jambes gonfler des bulles de gaz. Mes veines brûlaient tandis que de ma bouche s'échappait une nue de buée. Le poison entrait en moi comme on entre dans une taverne. Il me buvait toute ma santé, à chaque toast de victoire. Mes poils devenus des flammes flottaient sur le pétrole de ma peau. Un orgue jouait un requiem, l'hommage qu'on rend aux éperdus. Tandis que je voyais mon corps périr, je m'enfonçais dans une flaque. Une flaque de moi, de ma lente éruption. L'herbe blanche flambait aussi, allumée par ce lac de destruction. J'étais sinistre, j'étais funèbre. Sur le sol du cimetière, canevas de mes éclaboussures, je faisais attentat à la paix opaline des sépultures.
Et quand enfin je vis la mort venir, elle me tacha avec son pinceau, elle écrivit sur mon crâne des mots à l'encre de sang que je lus en reflet dans sa faucheuse de platine.
C'était le vrai nom de la lune.
C'était ton nom et je mourrais.
Dans ce cimetière étaient enterrées les étoiles, celles qui avaient terminé de vivre. Celles qu'on ne voyait plus depuis longtemps.
Le vrai nom de la lune, c'était ton nom et je mourrais, sur cette terre trop dure pour que vraiment je ne m'endorme.

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