
Il arriva penché comme un homme ayant vu le siècle passer sur le coin d'une ruelle. Il se posa sur le sol et se priva de tout mouvement. C'était une bête qu'on aurait pu croire fragile, mais qui arborait un pif coupant tels les regards d'ancêtres, des griffes d'argent plus poignantes que toutes les peines d'amour. Il entrait sur les sentiers à la manière des aigles, le cœur en rage de paix, le ventre creux et ferme comme les églises, le thorax porté vers l'avant en guise de salut, les yeux braisés dans la misère, calqués dans le silence. Les ailes fines et longues, il s'avançait les exposant, un pas après l'autre, lentement et prudemment, vérifiant à chaque avance s'il allait enfarger du verre. Il s'en venait vers moi en fixant le ciel, sa patrie, son utérus indigo brouillé par l'orangé des lampadaires. Je me tenais prêt à la riposte, les foudres pouvant s'abattre sur moi plus pesantes qu'une forêt. L'oiseau était là devant, par terre au milieu du corridor végétal. Il s'était arrêté sur une pierre en marge du sentier, il me défiait. Il me méprisait pour avoir vécu toutes ces secondes mensongères. J'avais jeté sur lui un sort horrible, brûlant. J'étais les lésions de son sommeil, les plaies avares de son déclin, les incendies de son amertume. Je l'avais ramassé, il était cueillit, sauvé, nous nous étions partagé afin de mieux survivre.
Il fût si bon pour nous, il décima notre dépendance aux futilités et fît de nous de réels existants. Je me contentais de lui seul, car plus rien ne possédait d'importance. Il était là, je l'aimais et il m'aimait. Plus il vivait plus nous mourions. Il se posait sur les branches de notre boisé, il semait des bourgeons. De ceux-ci sont nés des fruits, mais nous en avons abusé, je lui ai trop souvent menti.
Il partit tôt un matin, et je le suppliai. Pourtant si belles, mes humeurs fondirent sous la chaleur de cette fièvre que nous avions apprivoisée, et je devins solitaire bien soudainement.
Son reflet me suivait où que j'allions, il se liquéfiait dans les larmes de jeunes filles, dans les fontaines claires au parc du village, dans les palettes de couleurs d'un peintre impressionniste esquissant le fleuve du belvédère. Son nom vibrait parmi les tours du vieux clocher, le vent soufflait ses initiales à travers mes couettes frisées. Et chaque fois que je l'entendais, je détournais vers le sentier. Je fermais les yeux en m’efforçant de ne pas m'imaginer le temps où lui et moi étions amis. Je rentrais chez moi dormir, avec mes deuils, mes peines et mes guenilles.
Et tout ce temps passé à l'attendre en aura-t-il valu la douleur? Si, je crois, même davantage.
Et ce soir il était là, dignement réparé, auparavant crocheté comme un bouleau, il se dressait maintenant plus haut, fort et sage comme le chêne. Malgré toute la colère prise dans son visage, je crus voir en lui une lueur, celle du pardon et de l'amour.
Il s'envola d'un bon inattendu, le tête au ciel.
Perché sur l'harmonie des corps célestes, il m'apprit à siffler juste, le concerto des oies de l'île cendrée. Nous chantâmes jusqu'aux moissons, jusqu'à ce qu'il doive enfin migrer. Partir vers d'autres paysages aux chaumières chaudes et éclairées. Il pourrait bien y rester, c'est le paradis, qu'on nous raconte. C'est car l'ennui le rend malade qu'il revient pourtant à chaque année, encore plus beau qu'à son départ. On sait toujours quand il arrive. Les arbres du pays accouchent les bourgeons et les roseaux percent enfin une couche de grève. Il est là, nous le sentons. Les villageois descendent voir la marée, s'attroupent pieds nus dans l'aube des vagues salées pleines de têtards naissants. Ils scrutent longtemps l'horizon, là où le ciel rejoint la mer dans un halo de longitude, ces grands bleus qui se submergent, qui s'entretuent comme deux frères. L'oiseau perce lentement la cape du brouillard, surgît du havre nuageux en sifflant la victoire, celle d'être enfin à la maison.
Il entre en nous pour nous sauver, comme je l'ai fait pour lui autrefois. Il nous guérit de la guerre, il nous enseigne, le p'tit bonheur.