samedi 27 juillet 2013

Le son de Saturne

Ça sentait le goudron sur l'avenue et j'avançais les pieds collés sur cette masse instable de poussière compressée. Rien pour soutenir toutes ces rumeurs écrasantes, ces voix d'on-ne-sait-où qui me soupiraient plaintes et balades. À peine avais-je mis les pieds sur le lit de la passerelle que déjà s'effaçait derrière le reflet de la lune sur les cheveux des grandes terres. J'avais beau me plisser les peaux, je n'y voyais plus rien. Un pied dehors, tout réapparaissait. En avant, deux courts lampadaires éclairaient la passerelle, vissés au sol entre les feuillus de l'autre côté des clôtures longeant l'allée. Rassuré par leur mince présence je m'engageai dans ce passage et oubliai tout ce qui aurait pu me précéder. Le chemin craqué par les veines d'un vieux chêne s'étendait par delà la frontière coupant les terres de la ville. J'entrais dans une mêlée de dormeurs, au milieu des ondes de ronflements, des échos d'étroites jouissances.
La passerelle fût bien assez tôt derrière moi et confus je marchais maintenant sur une route cristalline, lisse comme un duvet de virginité.
Je ne saurais expliquer pourquoi à cet instant je commençai à bouillir très fort à l'intérieur. Un feu rageait en moi, les braises d'une explosion, j'avais cette imprévisible sensation que mes organes partaient en fusion. Et quand enfin tout s'arrêta, de ma bouche s'écoulèrent les cendres de l'attentat, un magma de peine noir et luisant. Sur le chemin net et précieux gisait l'éruption dégueulasse de mes refoulements.
Une victime au sol, un papillon de nuit, l'aile consumée, jamais plus ne volera.
Je m'allumai une cigarette puis décampai, loin du triste graffiti de vomissures.
Devant, la route s'envolait vers le ciel, des poutres de béton montaient au firmament. En bas, sur l'autoroute, quelques voitures filaient vers les dortoirs, vers les refuges de respires, où la sustentation des mineurs neuf s'éternisait encore entre deux pièces de folklore.
En haut du viaduc tout était grand, même mes bras, longs et fins comme deux baguettes de tambour. Devant Saturne je vacillais, trop étourdi pour retenir toute l'étendue de sa rythmique, toute l'ampleur de sa vibrance. Je saturais sous les anneaux, pris dans la gorge de cette chanteuse, de cette planète ahurissante, congelé dans le soupir ondulatoire de son volume, dans l'armistice de sa beauté.
Rumeurs et voix venaient de là, fredons étranges du trépas, dans mes oreilles leurs distorsions : "Saute, vas-y, saute donc en bas."

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