mardi 13 mars 2012

Mercredi ou la vie sauvage : épisode IX

Qu'est-ce que j'vais faire du restant de ma vie? Le réchauffer?

J'suis assis sur mon steak à la taverne tâchant de le décongeler, pendant que les autres grincheux me regardent moisir sous la poussière abondante de la micro-brasserie micro-ondes. Après une demie bouteille de la meilleure eau-de-vie du village, le vieux qui me sert à boire depuis tout à l'heure croit que j'suis assez chaud, je me lève insistant pour y sacrer la volée l'autre bord du comptoir mais je glisse comme une robine qu'on fait patiner vers son client. Je tombe par terre et voilà que la crasse m'imbibe, je me ramasse en moins de trois secondes et je sacre mon camp de cet endroit miteux en me demandant même pourquoi je m'y trouvais quelques secondes auparavant. Je déssaoule un peu moins vite que j'bois. Faque j'vais m'caler un petit remontant au café du coin. Un chocolat chaud, crème fouettée, la spécialité à Lawson.
J'en prend une gorgée. Il me saute au nez, il me coule dans le mauvais tuyau tellement je le qualifierais du même terme que mon tuyau. Comme pour m'aider dans mon départ. J'avais déjà prévu partir. J'allais simplement dire au revoir au paysage qui m'a ennuyé toutes ces années en espérant qu'il me retienne. Mais non! Il me jette dehors. La tasse se retrouva expressément sur la murale d'en face, et j'espérais que ça dégouline longtemps pour tacher le plus possible. Je kickai le tabouret qui me bloquait le passage, puis je m'élançai vers l'intersection, tapissée de lignes directionnelles jaunes. Des sortes de chemins d'or prétracés que je regardai un instant avec dégoût, apercevant presque le magicien d'Oz l'autre côté de la rue. Je quittai les voies du destin pour une destination inconnu, et à chaque pas son indigestion! L'océan m'appelait. D'ici on voyait la côte s'effondrer vers un plancher turquoise, et je m'imaginais les îlots parsemés de Mercredis à côtoyer.
Qu'est-ce que je vais faire du restant de ma vie, vous dites?
Je descendis vers les rochers en bas, jetant mon chapeau en l'air et défaisant ma cravate. L'eau me coupa le souffle de sa douceur, m'émouvant, me rappelant ma nature, ma vraie.
Et je nageai comme si la fin du monde était à mes trousses. Vers les vagues et vers l'évase. Je pensais en nageant. Je pensais à ce que je faisais. C'est rare je crois.

Au milieu d'un monde bien plus grand que le mot milieu, j'ai été aussi aussi seul que le L emprisonné entre le mi et le ieu. J'ai été accompagné tel le I de mi l'est avec le I de ieu. J'ai été sur et sous la Terre, pour me rendre compte que des deux côtés on finit toujours par chialer. J'ai parcouru l'est et l'ouest de cargaison en cargaisons. J'ai visité les recoins du continent et c'est bien là que la poussière se ramasse ; dans les coins. C'est peut-être pour ça que je préfère les îles rondes. Sans pauvres tas de minous gris, sans oublis. J'ai été dans toutes sortes de milieu. Et c'est donc ce qui conclu toute l'affaire. On vit dans un milieu. Un milieu sans juste-milieu. Un milieu répétitif, un purgatoire. J'ai eu beau creuser le trottoir, pas assez creux toutefois pour trouver espoir. J'ai attendu Guillaume au café et il me l'a dit : «C'est pas un roman, c'est pas d' la fiction. On a les mains pleines de sang...»
J'ai trouvé le fond, les côtés, il me reste juste à défoncer le plafond, voir s'ils y font du meilleur chocolat chaud.

Et je nageais vers le fond comme si la fin du monde était à mes trousses. Je m'éloignais des droits, des règlements qui les contrent, des faux amis, des natures mortes, des fausses perspectives, des codes, des civilisations, des lois, des douleurs, des routes et des gens qui étouffent dans un dogme, pire que ces gens qui toussent à la taverne, pire que les gens pris dans leur caverne. Je vais rejoindre Jules Verne.
Vingt mille lieues sous les mers. Après une vie aussi plate que onze heures de descriptions, je commence à comprendre que la beauté prend forme sous mes yeux à l'instant ou je plonge. Même s’il était plate, il avait raison, Jules. C'est pareil comme dans le livre. Mais y'a qu'un hic. C'est que je resterai pas assez longtemps pour y écrire une histoire.

Pourquoi faut nager vers le fond si on veut juste monter en haut? Ça l'air que sur Terre, pour vivre ou mourir, faut toujours que j'y aille à contre-courant.

Bonne nuit la vie. Je t'ai vu grandir à travers les vitres de mon café, et tu m'as aspiré, pendant que je te buvais à petites gorgées. Tu m'as avalé trop vite, sans me savourer.
Bonne nuit la vie. C'était mon dernier mercredi.

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