samedi 8 décembre 2012

Naima

Il était très tard au café, ma tête reposait sur mes bras croisés en oreiller sur le comptoir et je me disais à quel point il était rafraîchissant de voir le monde d'une autre façon. Les tasses vides sur les tables occupées, les cigarettes brûlantes dans les cendriers, les quelques clients, un ou deux d'assoupis, les autres méditant, bouches closes. C'était silence pour écouter Trane chanter. Je me sentais comme du pétrole, raffiné comme de la bière de blé, c'était un de ces moments simples courts que j'aurais souhaité double allongé.
Un vieil homme était accoudé au piano droit à l'autre bout de la salle, il fumait lentement en attendant son tour. D'où j'étais je ne voyais que son profil. Un visage usé, une paupière tombante surplombée de minces cheveux en broussaille, grisonnants, à travers lesquels la fumée se tressait, et je voyais dans ce nuage des poussières virevolter parmi la lueur d'une lampe à lutrin.
Trane, à souffle perdu, cligna de l'oeil au vieillard qui déposa ses doigts sur les touches de son piano. Son dos se raidit comme dans un élan de jeunesse, et il prit la relève du morceau. Un accord ou deux, et il sembla qu'une basse fréquence fit frissonner le contre-bassiste à sa gauche. Cet imposant instrumentiste effleurait sensuellement ses cordes en enlaçant contre lui sa muse de bois. Ils dansaient lentement, comme j'aurais voulu que mes parents le fassent autrefois, serrés l'un contre l'autre, les yeux fermés, déconcentrés, deux verres de porto vidés sur le tapis du salon.
Une demi-douzaine de lampions fatigués éclairaient encore le café, et dehors la neige blanche reflétait la flamme froide du chandelier lunaire. Derrière une fenêtre embuée, je vis une ombre marcher à l'extérieur. La silhouette encapuchonnée entra rapidement et je me redressai du même coup, discret, curieux.
Je me souviens encore avoir avalé de travers lorsque la lumière me révéla son visage. Jamais je n'aurais pu imaginer que la beauté d'une femme puisse me rendre si vulnérable. Je sentais descendre en moi les doses augmentées de dopamine, et mes nerfs désaccordés me jouaient des airs que je ne reconnaissais pas.
Elle vint s'asseoir à côté de moi et se dévêtit de son long manteau. Elle demanda un café du bout de ses lèvres rougies, avec son accent parisien d'un érotisme déstabilisant.
Dans mon âme noircie par les tempêtes et les glaces s'allumèrent d'un seul coup toutes les bougies du monde.
Elle tourna la tête vers la mienne en replaçant d'un coup de doigt sa chevelure d'ébène. Au fond de ses yeux je voyais le reflet de Trane qui soufflait dans son tuyau cuivré. Au fond de ses yeux je voyais le visage de la musique. Et je voyais mes yeux qui reflétaient aussi les siens, beaux et clairs comme les abîmes du soleil.

jeudi 15 novembre 2012

Mercredi et les bestioles

Tout commença lorsqu'il fit noir. Les lumières disparurent, la rumeur s'apaisa à l'intérieur du théâtre. Les enfants curieux s'avancèrent au bout de leur siège, regardant fixement une mince lueur gigoter sous les tissus du rideau un peu trop court. On pouvait y voir des ombres faire du va-et-vient, des pieds noirs s'agiter, se promener rapidement dans l'arrière scène. Et parfois, plus rien. C'était l'obscurité complète et dans la salle silencieusement euphorique on s'impatientait joyeusement.

Dans le ventre de Mercredi, des bestioles s'excitaient. Elles volaient en cercle entre ses côtes. Mercredi gloussa discrètement, ça le chatouillait tant.
Il se disait qu'il avait déjà eu cette même sensation, étant enfant, lorsqu'il jouait à la cachette avec son ami Robinson.


Mercredi courrait se cacher. À vive allure il avançait dans les champs de grands épis, sous le faible soleil de vingt heures. Un peu plus loin, derrière une cabane qui semblait abandonnée, entre une statuette poussiéreuse de la Sainte Vierge et un pot en terre cuite à moitié fendu, se situait une vieille porte boisée et pourrie que Mercredi n'avait jamais eu l'audace d'ouvrir.
C'était une entrée à deux portes battantes placées à 45 degrés sur une sorte de structure de pierre ne pouvant être autre chose qu'un accès extérieur menant à une cave, sous la maison.
Mercredi sortit son canif et coupa sans difficulté la corde qui barrait ensemble les deux portes. Il les entrouvrit et une senteur de secret émana de l'ouverture. Derrière descendait un escalier de bois dont les fissures étaient engorgées de terre. Mercredi le descendit prudemment jusqu'à une autre porte entrebâillée. Il entra rapidement en se rappelant que Robinson était toujours à sa recherche. Il referma derrière lui.

Une fenêtre par laquelle entrait le coucher de soleil permettait à Mercredi de partiellement voir la pièce dans laquelle il s'était aventuré. Tout autour de lui se dressaient des amas d'objets ayant tous l'air plus anciens les uns que les autres. La majorité était composée de meubles antiques, mais il pouvait y voir des fourches, un seau d'eau rouillé, des bouteilles de lait vides, un paquet de cartes à jouer, des piles de livres immenses. Il avançait lentement au milieu de la pièce. Dans le mince filet de lumière qui traversait la fenêtre, il voyait voler l'épaisse poussière que ses pas faisaient monter en l'air. À l'autre bout de la salle un large bureau recouvert d'une couverture attira son attention. Une fois devant le meuble en question, il mit les mains sur le tissu et le tâta un peu partout, fermant les yeux, s'imaginant ce qu'il pourrait bien trouver en dessous. Un trésor, pensait-il. Parmi tout le mobilier que contenait la cave, c'était assurément le seul qu'on avait prit soin de cacher. Il tira la couverture de manière plutôt spectaculaire, ce qui fit décoller d'un coup la poussière dont elle était saturée. Mercredi s'étouffa et se frotta le visage couvert par la saleté. Il vit ensuite à sa grande déception une demi-douzaine de banales caisses de bois, sur lesquelles étaient dessinées des pommes bien rouges. Il s'approcha et se rendit compte qu'à l'intérieur de ces boites, il n'y avait pas de fruits, mais bien d'étranges cartons. Surpris et intrigué, Mercredi en saisit un en particulier, car les couleurs de celui-ci avait attiré son regard. Sur le carton était imprimé l'illustration d'un homme en robe, assis en indien sur de nombreux coussins, un long instrument posé entre ses jambes. L'homme le tenait bien haut de sa main gauche tandis que sa main droite reposait au bas de celui-ci sur ce qui ressemblait à de longs fils métalliques. Mercredi fit tourner le carton entre ses mains et trouva une fente sur l'une des extrémités. Il regarda à l'intérieur et il y trouva un objet noir de forme circulaire. Il le sorti du carton qui était évidemment une enveloppe faite sur mesure pour l'objet. Mercredi s'approcha du peu de lumière qui restait alors dans la pièce. Il mit l'étrange objet directement face au rayon de soleil et l'observa attentivement. De fins sillons étaient gravés sur les deux faces de ce qui semblait être nulle autre chose qu'un disque.
Mercredi se rappelait que sa mère lui avait déjà parlé de ces disques à l'heure du coucher. Elle disait que c'étaient des objets de magie, et que dans leurs sillons se cachaient d'invisibles merveilles.

C'est alors que Mercredi entendit des bruits de pas venant de l'extérieur. Robinson approchait. Le disque lui glissa des mains et il alla sans le ramasser se cacher un peu plus loin, derrière un coffre que cachait un porte-manteau roulant. Dans l'obscurité de sa cachette, l'excitation l'envahissait vivement. Les bestioles dans son ventre volaient entre ses os. L'angoisse et la peur, confrontés au confort et à la sûreté de la cache, lui donnait cette sensation d'impuissance mais aussi de totale invincibilité. Mercredi sentait l'odeur des vieux vêtements, du parfum de jadis qui imprégnait encore le tissu des gilets. Ça lui rappelait ses grands-parents. Robinson avait ouvert la porte de la cave, il descendait en murmurant, la respiration haletante.

Les bestioles s'agitaient de plus en plus à l'intérieur de Mercredi, et c'est cette exacte sensation qu'il ressentait à l'instant même où les lumières s'étaient éteintes dans la salle de spectacle, les pieds des fébriles artistes faisant les cent pas, en arrière des rideaux trop courts.

C'est soudainement que ceux-ci furent tirés et qu'une lueur éclaira le décor de la scène, sortant Mercredi de ses souvenirs. Un tapis rouge comme la plus rouge des pommes était étendu au milieu du plateau. Sur ce dernier, on avait placé de fastes coussins de satin. Une poursuite dorée descendait du haut de la salle et éclairait la somptueuse estrade.
Un homme portant le Sherwani indien traditionnel s'avança lentement sur les planches, puis prit place, assis les jambes croisées, parmi les coussins.

Mercredi sourit, en se rappela avec nostalgie la première fois qu'il avait vu cet homme.
C'était au fond d'une cave sur la pochette d'un disque poussiéreux.

vendredi 19 octobre 2012

Les tympans en tweed


Faut sauter une ligne pour respirer, prendre le temps qu'il faut avant d'écrire.
Caché dans une caisse de résonance, sous des lames de métal, pogné dans les tuyaux de l'orgue de Saint-Viateur. Je vis de résonances, je vibre et j'ondule avec elles. J'ai les fréquences au bout du cartilage, elles campent sur mes tympans et parfois elles me chatouillent. Parfois aussi elles me font mal.
Sauter une ligne pour retrouver le rythme, quand on cherche un peu avec quoi continuer. Puis recommencer le même discours, même si ce serait plus intéressant de parler d'autres choses. Un peu comme la même ligne mélodique qui revient, à chaque fois qu'un couplet se termine, dans une longue chanson sans refrain.
Et j'ai besoin de lui comme un remède. Il est là pour me rappeler un peu vers où j'm'en va. Il se tient là et il me fait penser à moi. Faible et hésitant, fort mélangé.

Faut que tu comprennes que ce que tu lis en ce moment, c'est pas un texte qui essaie d'être beau et bon.
C'est juste moi qui t'écris, qui que tu sois, en t'espérant vraiment. J'espère que tu lis. J'espère que tu comprends que y'a pas de dentelle en ce moment.
J'écris de l'honnête non-filtré.
J'écoute Tweedy chanter depuis une douzaine de minutes, bientôt deux douzaines. C'est un peu mon lithium, c'est pour ça que j'dis qu'il est comme un remède.

J'aime tellement ça quand il perd la voix et que ses notes coupent à moitié, on dirait qu'il vient juste de se lever, moi ça m'fait sourire.
J'adore ça aussi quand il souffle un peu plus ses mots, comme s'il les soupirait. Comme s'il expirait de la boucane en même temps. Ça m'apaise.

J'aime ça quand j'ai l'impression qu'on raconte ma vie dans une histoire.
J'ai l'air d'aimer ma vie. Mais c'est pas tant ça plus que le fait de me sentir un peu moins seul même si au fond la solitude est un concept que je n'ai jamais vu si négativement dans un contexte de dosage qui a du bon sens.
La solitude ça peut devenir dangereux des fois par exemple. Je n'en parlerai pas davantage. Je pourrais simplement dire que la quincaillerie est loin derrière et que je préfère de loin l'aigre douceur des bancs d'école.

Bon, ça m'a fait du bien de ne pas avoir parlé d'amour dans ce texte-ci.

mardi 9 octobre 2012

La déprime

Les amis n'appellent plus quand on s'efface dans la nuit.

Je vis de malbouffe, de pétrole, de tabac. Aussi bien dire que je mange ma merde à mesure que j'la chie.
C'est la déprime. C'est la violence.

Pars pas en peur mais j'pense que j'pu toute là.
Ça s'peut tu que j'sois deux en dedans? Ça s'peut tu que j'sois pas tout seul ici dedans? J'ai mal à moi. Mal à mes mois.
Pars pas en peur mais j'te dis j'suis perdu.
Pis en même temps j'te dirais qu'je l'suis pas.

C'pour ça que j'te demande.
Comment on fait pour savoir si c'est l'cas?
Comment on fait pour savoir qui on est?
Va tu falloir que j'attende au trépas?

L'coeur ouvert comme une plaie.
J'suis qui si j'suis pas moi?

samedi 29 septembre 2012

La froidure

C'est le frimas des cataractes
Qui gèlent jusqu'à s'atrophier
Des nuits, des jours entiers.
Puis on les crève à l'aiguille
On déparle, on se dépouille
On se conserve désemparés
Quand vient l'automne des étrangers
Quand les mots sortent des bouches froides
En tirades et en buée
Quand le vent nous glace la gueule.
On a l'air bien on a l'air jeunes.

lundi 10 septembre 2012

L'équinoxe

L'autoroute s'évanouit
Et coupe les moteurs
Écoute, hauts dans la nuit
Les oiseaux migrateurs

Le poète sur le trottoir
Patiente jusqu'à l'automne
Pour écrire le désespoir
Des lueurs qui l'abandonnent

Le dommage collatéral
Toute la douleur de l'homme
Et l'hiver sur Montréal
Cette neige qui pèse une tonne

Quand tous les matins blancs
Se lèvent à contre-coeur
On écrit bien autrement
C'est la mauvaise humeur

mercredi 8 août 2012

Mercredi et la ville dortoir

Adossé contre une brique coupante, Mercredi reniflait l'humidité du fleuve et l'odeur des vidanges. La ville dortoir n'étant jamais complètement silencieuse, difficile de vraiment se reposer. Le grésillement constant des lignes électriques lui chatouillait les tympans, en plus du vent qui lui balayait les cils. Derrière la bâtisse du dépanneur, un vieux conteneur à déchet faisait office de repère pour Mercredi qui finissait son chocolat chaud, regrettant toutes sortes de décisions, notamment celle d'avoir prit ce chocolat chaud à une telle température. Le ciel se remplissait d'orages, les nuages se trempaient comme des biscuits pleins de lait, ils devenaient de plus en plus imposants, de plus en plus lourds, de plus en plus bas. On aurait dit qu'ils allaient tomber à tout moment, comme le biscuit trop trempé, en garnotte dans le fond du verre. Mercredi se grattait le dos sur la brique effilée du dépanneur, regardant la tempête l'écraser comme un char d’assaut. Un grand char d'assaut gris foncé, au moteur puissant et indestructible, bruyant comme des voyous. Le char avançait et Mercredi s'étouffait avec son tabac trop fort.

Il rêvait d'une lampe de bureau, de fumer dans l'éclat de la lampe, de voir les poussières s'illuminer par dessus l'ampoule fatiguée. Il rêvait d'écouter un disque pour un instant, un 45 tours, cette chanson qu'il avait entendu le matin même, dans la radio d'une vieille roulotte stationnée à la station service. Une femme se massait les cuisses dans le siège passager et elle suait abondamment, comme si le conducteur venait tout juste de lui faire l'amour. La chanson terminée, ils repartirent tout deux vers le sud, et jamais plus Mercredi ne revu cette roulotte, jamais plus Mercredi n'entendit cette chanson.

L'orage menaçait la ville dortoir, les enfants à l'heure du coucher restaient éveillés pour observer les éclairs, loin loin loin dans le ciel barbu. Ces enfants, à la fenêtre de leur berceaux, regardaient Mercredi l'air affamé, comme tous les enfants regardent les plus grands. Ils sont prêts à vieillir, prêts à nous manger.

La pluie tomba longtemps ce soir là. Dans la tête de Mercredi, on pouvait entendre des sons électroniques et une voix handicapée répéter les mêmes murmures pendant des centaines de minutes au moins. Il pensait aux albums de famille qui flottaient dans les sous-sols inondés, ces souvenirs érodés comme la soif des lecteurs grafignés de vers.

mardi 17 juillet 2012

Quand la paysanne dort.

Y fait noir noir tellement noir que même les yeux ouverts c'est comme si y'étaient fermés. C'est silence, un silence tellement silence qu'on ose pas respirer.
Tu t'endors tranquillement et j'essaie de faire de même. On vient de se décoller parce qu'il faisait trop chaud. T'es pire qu'un poêle à bois, pire qu'un million de degrés.

Tu t'endors, c'est fait, tu dors pour vrai. Je l'sais, ta respiration a changé. Elle est devenu plus forte, plus profonde. J'entends tes poumons se gonfler, ton coeur tombe sur le pilote automatique et étrangement tes yeux ne sont pas totalement fermés. J'ai toujours trouvé ça bizarre tu l'sais. Tes dents claquent parfois, tu te lèches le palet, tu tousses une ou deux fois, tu renifles, tu répètes ce processus chaque fois que tu te tournes de bord. Tu gémis à quelques reprises, tu t'adresses aux personnages de tes rêves agités.
Je suis à quelques centimètres de toi et pourtant nous sommes dans deux univers différents, mélangés entre les fuseaux horaires, je crois.
Je regarde vers le plafond mais je ne le vois pas, je sais qu'il est là. Je pense à nous, plus tard, je pense à la maison que j'aimerais avoir. Je pense à la voiture dans laquelle on partirait, encore. Je pense à mes économies durement amassées, gagner sa vie est un drôle de concept, tu trouves pas?
Tu te tournes face à moi, je sens ton haleine dans mon cou, ça me chatouille un peu mais c'est correct. Tu te retournes de l'autre côté après quelques instants et tu tires la couverture avec toi. La nuit s'annonce longue, faut que j'me lève, écrire tout ça.

vendredi 1 juin 2012

Les soubresauts

Il existe dans ce bas monde une sorte de tension qui régie la plupart des comportements, même inavoués, involontaires, de plein gré ou pas, cette nervure existentielle s'accapare du jugement et des réflexes de ses victimes. C'est un trouble lourd et puissant qui frappe doucement et qui ravage corps et âmes. Ça a l'air fou, croyez-le. Comme si une veine venait de gonfler si rapidement le long de mon cou, vraiment vite, serrant ma gorge d'une pression incalculable. Que je le veuille ou non, une torsion musculaire m'afflige de ses caprices et je suis en litige avec mon propre visage quant à l'expression qu'il dégage. Si ma bouche est désormais verticale ce n'est pas mon choix. Si je peux enfin voir de quoi a l'air l'intérieur de mon crâne, ce n'est pas ma faute, c'est cette tension, cette torsion qui m'y force, qui me retourne les yeux sans me le demander. Mon coeur se débat contre l'attaque, je suis trempe comme un orage. Soudain des spasmes scapulaires surgissent de nulle part, puis j'ai les rotules qui partent dans tous les sens, c'est probablement ce qu'on pourrait appeler danser mais j'en suis peu certain.
J'ai le pelvis en crise, le bassin versant versé.

Cette tension maudite, qui me remonte les artères, j'ai pourtant l'impression de la connaître.
Ce n'est pas tout à fait un sourire, ni une douleur.
C'est une sorte de scissiparité, un division de moi-même, face à l'intrusion de mon domaine. Une étrange présence qui n'a rien d'animale, ni de végétale, rien de vivant tout compte fait. Pourtant, elle est tout à fait le contraire de la mort. «Si ce n'est pas la vie, qu'est-ce que c'est?» - vous dites. J'en sais rien non plus figurez-vous.
C'est peut-être une émotion, une réaction, une âme.

Selon ce que j'ai pu ressentir, c'est venu de par mes oreilles. C'est entré par là, ça s'est permit d'y pénétré sans m'avertir.
Un soubresaut et j'étais par terre étendu comme un chiffon. J'ai cru entendre le son d'une aiguille toucher le vinyle d'un disque. Et lorsqu'elle s'est frottée au plus creux du sillon, j'ai imaginé les câbles frissonner au passage de ce qui allait ensuite traverser les boîtes de son. Ces dernières ont dû vomir de bonheur à l'éructation divine du viol agréable qui m'engourdit ensuite les nerfs dans un calme et une sérénité provocante. J'étais sans doute proche du trauma.

Ce n'est que bien plus tard qu'on m'a expliqué que ça s'appelait le blues.





dimanche 13 mai 2012

Les Catacombes

Les bums de la ruelle
Croquent le cartilage
Comme si c'était essentiel
Pour traîner dans les parages.

Les mères en fuite sur les balcons
En fument une pendant la sieste
Comme si c'était bien trop con
De compter le temps qu'il reste.

Et ceux qui marchent sur le plateau
Toutes ces âmes marginales
Peuvent bien nous regardez de haut
C'est aussi ça le Mont-Royal

J'entends chialer les têtes enflées
Je vois nos cendres sur le trottoir
Je les vois encore nous brûler
Faudrait être fou pour pas les voir

Notre pays c'est pas un pays
C'est un asile où nos mères guérissent
De la peur d'élever leur petits
Où des étrangers les ensevelissent.

Notre pays c'est pu un pays
C'est une ruelle où les bums vieillissent
Pour devenir ces charognes dont on fait le tri
Parce que c'est payant en christ

vendredi 4 mai 2012

Alpha Centauri

Graffite moi sur la pointe des pieds
La fièvre du pickpocket je l'envoie paître
En montant les étages de notre thermomètre
Je cloutais un nid d'espions quand tu m'as renversé

Des feuilletons de balivernes surdimutités
Éructent en couleur sur les murs de mon salon noir
Des concubines dansent nues sur le hood du corbillard
Et on beurre nos fèves germées

Les collections de pixels nous étourdissent
Des traces de pneu dans les rosaires, il faudrait éteindre
Le feu pogné chez l'antiquaire, il faudrait feindre
D'être en vie, les yeux à demi-clos, courser dans ma Chevy '56.

J'ai souvent dansé dans les stalles de la salle de bain
Crié les mots en souricière, sur le toit de ma gueule
Puis je me suis longtemps allongé pour me parler seul
Vandaliser la couverture de nos épais bouquins.

Un jaune papier sale que je ne voudrais méprendre
Des alexandrins espagnols au pas de ta porte
Sur un veineux papier mort-né, pas tout à fait propre
Tes notes déchirées que je ne voudrai comprendre.


dimanche 22 avril 2012

Encore l'ange encore l'ange

Les secrets

Son lit est un bain d'eau salée. De la pluie oculaire en barrage de couvertures, filtrée par les cils d'un ange.
Es-tu l'une d'entre elles? Celles qui se baignent dans la tristesse du seigneur, et dans le sang de la tromperie.
Regarde sous le plancher, cherche les secrets que j'ai caché. Prends-les ces secrets, sache-le, je n'en veux plus ici.
Noie-les au fond du puits, et même lorsque le puits sera sec, brûle-les au fond du four, et même si ce four se salira, nettoie-le, passe l'éponge, et cette éponge contaminée, jette-la au loin dans la rivière où elle coulera, et chaque matin à la pêche, tu repêchera ces secrets pour souper, et lorsqu'ils entreront encore en toi, l'amertume renaîtra au fond de ta gorge.
Tranche-la.
C'est la seule façon d'en finir.

Un lit d'eau salée, de la pluie oculaire, des centaines en quarantaine, l'ange ligotée trempe dans ton regret.


Le ralenti

Les mains silencieuses
Les baisers silencieux.
Glisse ton nez sur le mien.
Les sourires silencieux.

Mes baisers imprécis
Sur tes hanches chaudes
Ces caresses étourdies
Et nos mains qui maraudent.

samedi 21 avril 2012

Le geai bleu

Au feu les bûches, elles brûlent et chauffent la demeure. Le curé est sur le perron du presbytère, il prie les anges. Il prie les joies de la passion, celles d'aimer sans l'être, celles du désir inexpiable. Parfois, il regardait parfois dans la direction de la vitrine, et se dirigeait vers la vitrine en traversant le chemin. Il se paonadait d'une robe noire et de son livre sacré, il entrait derrière la vitrine et nous lisions parfois des simulacres des paradoxes et parfois des amertumes derrière la vitrine.
Un rôti cuit dans le poêle, en haut de l'escalier ça sent le rôti. Je suis couché par terre et mes cils battent comme les ailes d'un geai bleu blessé, sur les palissades de la ville orange. L'oracle de la tour du nord est seul comme le curé. Les geais bleu volent sur des miles à la ronde, sifflant la douleur de l'équivoque. La tombe la plus creuse du cimetière est celle où j'irai dormir. Au bout de la péninsule, un homme tend les bras vers le golfe, les geais bleus s'y poseront avant la traversée.

La goutte panacée

Une goutte de condensation perle sur le plafond au dessus de ma tête. Elle s'allonge et s'allonge, elle ne tombe jamais, elle ne fait que s'allonger. Elle perle jusqu'au plancher. C'est une colonne de goutte. C'est une chute interminable. Le plancher s'imbibe et s'inonde. Le bois gonfle et gonfle. Le bois gonfle comme une miche de pain. Des trous s'ouvrent et des mulots en sortent apeurés, les pauvres mulots. L'eau est forte, l'eau est froide. L'eau coule sur le ventre d'une femme, l'eau coule sur le ventre d'une mère. L'eau d'en face coule sur les fronts. L'eau d'à côté coule sous les ponts. La mienne perle du plafond en stalactite liquide, lentement comme une promenade.

La panique

J'ai besoin d'un baiser d'ange, sur mon front mouillé de l'eau d'en face. Je prierai s'il le faut mon père envoyez moi les anges vous les connaissez vous leur parlez toujours je le sais je vous vois mon père s'il le faut je prierai voyez vous l'eau qui coule lentement comme une promenade mon père les mulots courent dans la cuisine le rôti cuit toujours mon père soupez avec nous s'il le faut je prierai toujours aux anges jusqu'à perdre le souffle et la raison mon père.
Je vous le promets, vous lez connaissez, envoyez-les mon père avant que le coeur me sorte par la bouche.

mercredi 21 mars 2012

Les Scalpels


Ne t’en fais pas.
Je nous ai plongés dans le plus grand des paradoxes, dans un abîme d’attente si profond qu’on en oublie parfois l’existence. On tombe si longtemps, qu’on ne tombe plus vraiment. C’est un vol plané, pourtant loin d’être planant. C’est une chute incontrôlée, incontrôlable.
Je nous ai plongés dans le plus grand des océans, dans un abîme de bleu si profond qu’on en oublie parfois la présence. On coule si longtemps, qu’on ne coule plus vraiment. C’est un lointain naufrage, un naufrage improvisé, imprévisible.
Je pars pour moi. Je pars pour le futur. Je n’ai pas exactement le mal du pays, mais le départ me ronge les artères. Toutes ces nuits passées au bord de la mer ont fini par me noyer. La marée se saisira de moi et m’expulsera loin, si loin de toi,
sur un vieux rocher désert, une île volcanique où, après avoir sombré, seul, dans la folie, je trouverai peut-être la paix d’une chaleur maternelle, magmatique, ardente et sereine. Alors peut-être verrai-je la lumière, peut-être percerai-je la neige à mon tour, dans l’éclosion d’un jour nouveau, au réveil d’un printemps qui depuis longtemps hiberne.

C’est si difficile de quitter ce qui me retient, c’est difficile de regarder s’éloigner le paysage lorsqu’en avant, il n’y existe rien d’autre qu’un horizon vierge, rien d’autre que les deux grands bleus qui se rejoignent, deux mondes à part, le gazeux et le liquide, qui se fracassent l’un contre l’autre comme deux frères en furie, comme deux meurtriers.
C’est si difficile de te regarder dans les yeux, de te dire tous ces mots coupants, de t’ouvrir les trippes avec mes scalpels. C’est si difficile de t’avouer tout ce mal qui m’habite, pour t’en faire tout autant. C’est difficile de ne pas pleurer. C’est si difficile de ne pas te dire «je t’aime», avant de m’en aller.

Mais je pars pour moi. Je pars pour mieux revenir. Je pars pour me connaître, et je reviendrai, sachant qui je suis, au lieu de savoir qui j’aimerais être.

mardi 13 mars 2012

Mercredi ou la vie sauvage : épisode IX

Qu'est-ce que j'vais faire du restant de ma vie? Le réchauffer?

J'suis assis sur mon steak à la taverne tâchant de le décongeler, pendant que les autres grincheux me regardent moisir sous la poussière abondante de la micro-brasserie micro-ondes. Après une demie bouteille de la meilleure eau-de-vie du village, le vieux qui me sert à boire depuis tout à l'heure croit que j'suis assez chaud, je me lève insistant pour y sacrer la volée l'autre bord du comptoir mais je glisse comme une robine qu'on fait patiner vers son client. Je tombe par terre et voilà que la crasse m'imbibe, je me ramasse en moins de trois secondes et je sacre mon camp de cet endroit miteux en me demandant même pourquoi je m'y trouvais quelques secondes auparavant. Je déssaoule un peu moins vite que j'bois. Faque j'vais m'caler un petit remontant au café du coin. Un chocolat chaud, crème fouettée, la spécialité à Lawson.
J'en prend une gorgée. Il me saute au nez, il me coule dans le mauvais tuyau tellement je le qualifierais du même terme que mon tuyau. Comme pour m'aider dans mon départ. J'avais déjà prévu partir. J'allais simplement dire au revoir au paysage qui m'a ennuyé toutes ces années en espérant qu'il me retienne. Mais non! Il me jette dehors. La tasse se retrouva expressément sur la murale d'en face, et j'espérais que ça dégouline longtemps pour tacher le plus possible. Je kickai le tabouret qui me bloquait le passage, puis je m'élançai vers l'intersection, tapissée de lignes directionnelles jaunes. Des sortes de chemins d'or prétracés que je regardai un instant avec dégoût, apercevant presque le magicien d'Oz l'autre côté de la rue. Je quittai les voies du destin pour une destination inconnu, et à chaque pas son indigestion! L'océan m'appelait. D'ici on voyait la côte s'effondrer vers un plancher turquoise, et je m'imaginais les îlots parsemés de Mercredis à côtoyer.
Qu'est-ce que je vais faire du restant de ma vie, vous dites?
Je descendis vers les rochers en bas, jetant mon chapeau en l'air et défaisant ma cravate. L'eau me coupa le souffle de sa douceur, m'émouvant, me rappelant ma nature, ma vraie.
Et je nageai comme si la fin du monde était à mes trousses. Vers les vagues et vers l'évase. Je pensais en nageant. Je pensais à ce que je faisais. C'est rare je crois.

Au milieu d'un monde bien plus grand que le mot milieu, j'ai été aussi aussi seul que le L emprisonné entre le mi et le ieu. J'ai été accompagné tel le I de mi l'est avec le I de ieu. J'ai été sur et sous la Terre, pour me rendre compte que des deux côtés on finit toujours par chialer. J'ai parcouru l'est et l'ouest de cargaison en cargaisons. J'ai visité les recoins du continent et c'est bien là que la poussière se ramasse ; dans les coins. C'est peut-être pour ça que je préfère les îles rondes. Sans pauvres tas de minous gris, sans oublis. J'ai été dans toutes sortes de milieu. Et c'est donc ce qui conclu toute l'affaire. On vit dans un milieu. Un milieu sans juste-milieu. Un milieu répétitif, un purgatoire. J'ai eu beau creuser le trottoir, pas assez creux toutefois pour trouver espoir. J'ai attendu Guillaume au café et il me l'a dit : «C'est pas un roman, c'est pas d' la fiction. On a les mains pleines de sang...»
J'ai trouvé le fond, les côtés, il me reste juste à défoncer le plafond, voir s'ils y font du meilleur chocolat chaud.

Et je nageais vers le fond comme si la fin du monde était à mes trousses. Je m'éloignais des droits, des règlements qui les contrent, des faux amis, des natures mortes, des fausses perspectives, des codes, des civilisations, des lois, des douleurs, des routes et des gens qui étouffent dans un dogme, pire que ces gens qui toussent à la taverne, pire que les gens pris dans leur caverne. Je vais rejoindre Jules Verne.
Vingt mille lieues sous les mers. Après une vie aussi plate que onze heures de descriptions, je commence à comprendre que la beauté prend forme sous mes yeux à l'instant ou je plonge. Même s’il était plate, il avait raison, Jules. C'est pareil comme dans le livre. Mais y'a qu'un hic. C'est que je resterai pas assez longtemps pour y écrire une histoire.

Pourquoi faut nager vers le fond si on veut juste monter en haut? Ça l'air que sur Terre, pour vivre ou mourir, faut toujours que j'y aille à contre-courant.

Bonne nuit la vie. Je t'ai vu grandir à travers les vitres de mon café, et tu m'as aspiré, pendant que je te buvais à petites gorgées. Tu m'as avalé trop vite, sans me savourer.
Bonne nuit la vie. C'était mon dernier mercredi.